Cette partie introductive pousse plus avant les origines du média et met en avant le décalage existant entre les institutions éducatives, leur difficile évolution vs. les besoins exprimés des étudiant·es.
« Nous nous adressons à celles et ceux qui doutent, que ce doute soit quotidien ou fugitif. À vous qui avez accepté un boulot "parce qu'il faut bien une première expérience". À vous dont les proches travaillent à perpétuer le système et qui sentez le poids de leur regard sur vos choix professionnels. À vous qui, assis derrière un bureau regardez la fenêtre en rêvant d'espace et de liberté. Vous qui prenez le tgv tous les week end en quête d'un bien-être jamais trouvé. À vous qui sentez un malaise monter sans pouvoir le nommer, qui trouvez souvent que le monde est fou, qui avez envie de faire quelque chose mais ne savez pas trop quoi ou qui espériez changer les choses de l'intérieur et n'y croyez déjà plus » Les ingés qui bifurquent
 
Fin avril 2022, lors de la remise des diplômes à AgroParisTech, un collectif étudiant·es prend la parole. Leur discours, à l'image de celui prononcé à Centrale Nantes en 2018 ou Polytechnique en 2019 dénonçait le fossé existant aujourd'hui entre l'urgence des enjeux actuel et la (non) réponse pédagogique de leur établissement. En effet, comment former sciemment les citoyen·nes de demain à exercer des métiers nocifs pour notre avenir et l'environnement ? Ces mots, aussi forts que justes, semblent avoir résonné pour de nombreux·ses pairs et ont fait le tour de la piscine.
Mais suffiront-ils pour raisonner les institutions auxquelles ils s'adressent ?
 

non - dur équilibre entre notre csp, nos privilèges et ce qu'on a envie de partager

Malheureusement, non.
Ces étudiant·es ont tous·tes fait le choix de faire porter leur voix·e une fois leur voix·e sécurisée.
Mais qui sont ces nageur·ses qui peuvent se permettre d'effectuer une culbute professionnelle à moindre coût et ce, même en fin d'études ?
« Dans l’émission Réussite scolaire, quel rôle pour les parents ? à France Culture, Louise Touret explore la manière dont on aborde cette idée selon notre milieu social. Il en ressort, entre autres, que les trajectoires de nage alternatives où réussite rime avec créativité et/ou épanouissement est l'apenage des CSP+. À l'inverse, les familles plus modestes auront tendance à la définir selon des critères plus tangibles » (Rigaut, 2022).
Cet extrait de Plouf-letter fait – indirectement – référence à la notion de capitaux développée par Pierre Bourdieu dans nombre de ses ouvrages dont La distinction. De fait, pour ce sociologue, nous combinons trois types de capitaux :
  1. « Le capital économique qui repose essentiellement sur patrimoine financier (et donc le poste qui va avec puisqu’on a tendance à associer un titre à une fiche de paie)
  1. Le capital social, soit notre réseau. Celui-ci est à la fois hérité de notre famille et cultivé via nos études ensuite – les écoles de commerce jouent beaucoup là-dessus
  1. Le capital culturel, aka l’ensemble des connaissances (savoir-faire, savoir-être) acquises par un individu – souvent sanctionnées par un diplôme. Il englobe également nos habitudes culturelles, développées pendant notre enfance via l’éducation familiale » (Rigaut, 2022)
 
Au vu de ces trois capitaux, l'on peut supposer qu'une personne pourvue du premier mais dénuée des trois autres aura plus de mal à effectuer sa transition professionnelle. Si l'on prend en compte le fait qu'en France il faut 6 générations pour passer d'un revenu faible à un revenu moyen (et ce avant inflation), nous pouvons légitimement nous poser cette même question appliquée aux deux autres capitaux. Une fois ce critère pris en compte, il devient évident que la population pour laquelle cette « désertion de voie » sera la moins risquée est celle cumulant tous ces capitaux.
De fait, posséder à la fois les ressources financières pour bifurquer, le réseau suffisant permettant d'amorcer son changement de voie et la reconnaissance sociale nécessaire pour s'y engager (via notre habitus de classe) sont l'apenage d'une catégorie sociale, aka, les CSP+. De même, en termes d'habitus, il est intéressant de noter que la pratique de semestres ou années de césure (importée des pays anglo-saxons) est peu à peu devenue un rituel – voir un passage obligé – pour les étudiant·es en grande école. Le programme ERASMUS+, aussi déployé en université participe à démocratiser cette pratique. Mais les quotas et les raisons initiales d'études (besoin de trouver un emploi vs. étudier pour étudier) changent la relation que l'on peut avoir à cette pause – et donc de notre envie de changer.
 
notion image
 

une intervention au service du branding des écoles

« Ce sont des opérations coup de poing » Armand de Tu feras quoi plus tard ?
Effectivement, la question de l'authenticité du discours et notre capacité effective à faire scission se pose lorsqu'on se penche sur les différents messages passés.
Anne-Fleur Goll, jeune diplômée d'HEC est la dernière en date (juin 2022) a avoir fait entendre sa voix·e dissidente lors de sa cérémonie de diplômation.
 
« L'écriture s'est faite en toute liberté, confirment à l'unisson Anne-Fleur Goll et Adam Melki, coprésident d'HEC Transition alumni aux 3.000 membres qui travaillent déjà avec l'administration à la refonte des programmes depuis deux ans. Le lien de confiance était installé. Seules demandes de l'école : incarner le propos d'un point de vue personnel, être seule sur scène et parler en anglais (ce qui impliquait un travail de traduction avec un journaliste américain dépêché par l'école). » Les Échos Start
 
À l'instar du discours d'Emmanuel Faber en 2016 – disponible sur la chaîne Youtube d'HEC et celle de Danone – , la vidéo de l’intervention est disponible sur la chaîne Youtube HEC transition, d'ailleurs créée pour l'occasion.
Car il ne faut pas oublier que cette parole, bien que perçue comme rebelle, a bénéficié de l'approbation de l'institution-mère – qui n'a aucune obligation à le faire. La manière de le faire, elle, est insitutionnelle, dans les clous et ne dérange personne.
In fine, bien qu'en désaccord profond avec leur formation, le diplôme fait foi des compétences acquises par ces nageur·ses, comme l'image qu'iels diffusent. « Il n'y a pas de bad buzz » pourrait dire Jacques Séguéla.
Quoiqu'il en soit, l'engagement est un sujet dans l'air du temps. Relayer ces discours – même si ceux-ci semblent aller à l'inverse de leur objectif premier permet aux écoles (en l'occurence HEC) de s'engager sur le chemin de la transition et de se positionner en fer de lance d'un certain renouveau écologique. De fait, de nos jours, investir dans une politique RSE (et surtout sa communication) forte permet aux entreprises de conserver un avantage stratégique certain pour attirer les jeunes talents à rejoindre leur club de nage (Les Échos Start, 2022).
 

alerte au greenwashing ?

« Suivant l'exemple bien connu de Google qui a autorisé très tôt ses salariés à consacrer un jour par semaine à un projet autre que celui de leur mission, la banque Société Générale a mis à contribution ses collaborateurs pour inventer « la banque de demain ». Les Échos Start, 2022
 
Contrôler sa communication est également une opportunité pour les institutions éducatives pur garder la main sur le message diffusé et donc, leur branding. Si l'on pousse l'analyse plus loin, cela leur permet également de se positionner auprès des entreprises en quête de profils sensibilisés à la RSE – mais toujours dans les clous. Les initiatives comme celles de Société Générale – financeur du projet pétrolier Total EACOP aux côtés de plusieurs autres banques aux vellétités « verdissantes » – montrent bien l'intérêt mercantile de la RSE avant tout.
 
 

faire des vagues sans tsunami

Enfin, nous pouvons nous demander : outre les reconversions précoces qui semblent cantonnées à un pan de la population natatoire, pourquoi les récits alternatifs ne sont-ils relayés que par cette population ?
 
« Dans l'ouvrage Génération surdiplômée. Les 20% qui transforment la FranceJean-Laurent Cassely et Monique Dagnaud parlent du rôle essentiel que jouent les élites dans les changements structurels. À l'image de la loi de Pareto, ce sont les 20% des étudiant·es les plus diplômé·es qui dessineraient le paysage économico-socio-culturel de demain.
Il en va de même pour la culture où seules certaines voix·es s'expriment dans le bassin : celles des élites. Les raisons en sont multiples :
  1. Elles manient le langage à la perfection. Elles sont le mieux équipées pour partager leur expérience et leur vision de la société natatoire de la manière la plus galvanisante possible (l’uniforme palmes, masque et tuba de compétition tu connais)
  1. Elles se sentent légitimes à porter leur voix·es dans l'espace public. Voir et/ou entendre les récits de personnes à la trajectoire de nage similaire rend la prise de parole facile
  1. Elles possèdent les moyens de production (et financiers) nécessaires à la création et la diffusion de leur récit
  1. Elles ont accès à un réseau (capital social) pour diffuser leur récit – auprès de leurs pairs
Cette « confiscation » de la parole narrative a donc longtemps subjectivé les catégories sociales inférieures au profit de celles dominantes. Ce manque de représentation a pu encourager une certaine reproduction sociale au sein de ces swimming teams manque d’exemples alternatifs. » (Rigaut, 2022)
 
Comment donc espérer un changement profond de notre fonctionnement si les mdoes de contestation de celui-ci sont réalités « dans les règles de l'art » ?
 

oui, le système est cassé, mais comment démocratiser ces réflexions ?

 
Cette question sociale est un des sujets sur lesquels Millennials Today (s’)interroge avec la communauté de nageur·ses. Pour découvrir plus en détail le positionnement du média, c’est par ici